Daniel Roux, pionnier du pixel art et des interfaces graphiques, Blupi et l’univers SMAKY
18.03.2023
Interview de Daniel Roux réalisée par Cédric Gaudin, président de l’association Les Amis du Musée Bolo.
Retranscription de l’interview par Anne-Sylvie Weinmann, avocate et data scientist.
Un après-midi d'histoire vivante de l'informatique et des jeux vidéo
Dans le cadre du lancement du projet 𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬 mené par le Musée Bolo, le temps d’un après-midi, les jeunes participantes et participants au 37e championnat de jeux mathématiques et logiques à Yverdon-les-Bains ont pu découvrir le samedi 18 mars 2023 des jeux vidéo d’hier, développés par Daniel Roux, et installés sur les ancêtres de leurs consoles, des Smaky 100 (1984) et 130 (1992). Jean-Daniel Nicoud, père des Smaky et des Logidules, était également présent dans une salle animée autour de ces ordinateurs et jeux Made in Vaud!
Ce samedi 18 mars 2023, les visiteurs pouvaient découvrir et tester quelques Smaky. On peut y apercevoir deux jeux vidéo conçus par Daniel Roux chez Epsitec SA: Blupimania sur un Smaky 130 et Ping Pong (1987) sur un Smaky 100. Plus loin on peut apercevoir le Smaky 8 et le Smaky 6. L’atelier des Logidules est toujours très apprécié des enfants. | © Musée Bolo
Alors à quelques jours de la retraite, un des moteurs de l’aventure Smaky–Epsitec pendant 45 ans, le polyvalent Daniel Roux aux multiples talents de développeur de logiciels et de graphiste, nous a fait le plaisir de partager quelques morceaux choisis d’une aventure trop méconnue, que le Musée Bolo souhaite mettre au jour et partager largement grâce au projet 𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬 lancé à l’occasion de cette évènement et présenté dans ses grandes lignes en ouverture par Cédric Gaudin, président de l’association Les Amis du Musée Bolo et de la fondation Mémoires Informatiques.
Daniel Roux – Un homme-orchestre!
Cédric Gaudin invite Daniel Roux à le rejoindre, pour une trop courte immersion, sous la forme d’une interview illustrée, dans l’univers du créatif vaudois et, avant de lui céder la parole, le présente brièvement:
« Daniel Roux est un des personnages clés de l’aventure Smaky. Il a écrit énormément de logiciels, il a réalisé beaucoup de dessins variés, techniques et artistiques, pour le Smaky mais il a surtout conçu l’interface graphique du Smaky ce qui a permis à ces ordinateurs d’être facilement utilisables. Il a aussi créé toutes sortes de jeux car son dada, c’est de créer des jeux vidéo, d’écrire des jeux vidéo pour ces ordinateurs, des jeux ludiques et didactiques aussi, où l’on apprend quelque chose. Il a également dessiné la plupart des logos du Smaky, ainsi que les icônes. Simplement dit, tout l’environnement graphique a été conçu et dessiné par Daniel Roux! Et enfin, Daniel Roux, c’est le père du célèbre personnage qui s’appelait Toto au départ, puis a été rebaptisé Blupi. Ce petit personnage jaune, rond, sympathique et omniprésent dans l’univers Smaky. »
Question 1 – Le virus de la programmation
Daniel, comment as-tu commencé à programmer les micro-ordinateurs?
« Quand j’étais jeune, j’étais abonné à une revue d’électronique qui s’appelait ELECLUB (futur ELEMICRO dès 1980). J’ai vu un jour dans cette revue une publicité pour un micro-ordinateur à construire en kit: le Dauphin. J’en ai tout de suite commandé un, je l’ai monté et c’est avec ça que j’ai écrit mes premiers programmes extrêmement simples. C’était très rudimentaire. Le seul écran qu’il y avait était quatre affichages à sept segments qui permettaient d’afficher quatre chiffres. Un point c’est tout! Il fallait un peu d’imagination pour imaginer ce que l’on pouvait faire avec un écran et un clavier aussi rudimentaires. »
ELECLUB octobre 1978 – Une publicité pour un Dauphin « Exécution Stoppani », modèle plus récent, plus élaboré, et plus cher, que celui de Daniel Roux | © Musée Bolo
Plusieurs modèles de Dauphin se sont succédé | © Daniel Roux – Epsitec
Une personne dans le public demande à Daniel Roux quelle est l’origine du Dauphin représenté sur l’image de droite: « Ce kit est une version industrielle qui est venue après. Le mien n’était pas aussi luxueux. Il était commercialisé par EPSITEC, il était en kit; rien n’était soudé! Celui que j’avais monté avait une board beige clair comme sur l’image de gauche, alors que les Dauphin Stopanni étaient verts. Mme Nicoud m’avait dit plus tard que j’avais reçu le Dauphin numéro un, avec tous les composants qu’elle avait mis dans des petits sachets en plastique! »
Cédric Gaudin souligne que « l’idée à l’origine du Dauphin était de publier un article dans ELECLUB pour faire un petit ordinateur en kit qui coûte moins de 200 francs (pour les premiers) de sorte que n’importe qui puisse apprendre à programmer un ordinateur. C’était l’idée de base de Jean-Daniel Nicoud. On montait son ordinateur pièce par pièce. D’abord, il y a eu la carte de base, puis après le clavier amélioré et ensuite les cartes avec les processeurs. Pour finir, le Dauphin est devenu un produit industriel redessiné par la société Stoppani SA (1978) qui a produit plusieurs de ces systèmes Dauphin. » Combien? s’interroge-t-on dans le public. « C’est une bonne question. A cause de la faillite de Stoppani en 1979 déjà, seulement 200 Dauphins ont été vendus. »
ELECLUB deviendra ELEMICRO au début des années 1980, un air familier… « Voici quelques exemplaires d’ELEMICRO qui sont parus par la suite car finalement j’ai été amené à dessiner des couvertures de cette revue » raconte amusé Daniel Roux.
Le Dauphin, la boucle est bouclée. En 2008 Epsitec fête ses 30 ans et distribue gratuitement son simulateur de Dauphin. Grâce au logiciel, aux textes et aux dessins du manuel qui l’accompagnent réalisés par Daniel Roux vous pouvez tester et expérimenter de manière ludique et accessible le Dauphin sur votre PC, à la maison!
Comprendre les microprocesseurs avec le simulateur Dauphin, Blupi vous guide avec simplicité et humour dans cet environnement à télécharger depuis le site web d’EPSITEC, entreprise créée en 1978 pour commercialiser les Smaky et dirigée pendant trois décennies par Cathi Nicoud, mathématicienne et épouse de Jean-Daniel Nicoud | © Daniel Roux: Logiciel, texte et dessins
Question 2 – La naissance de Blupi
Daniel, comment le personnage de Toto, qui deviendra Blupi, est-il né? Comment as-tu inventé ce personnage?
« Quand j’étais encore à l’école, au lieu d’écouter mes professeurs, je dessinais. J’avais 16 ans. J’ai fait une bande dessinée, dont voici quelques pages, une bande dessinée complète avec ce petit personnage que j’avais appelé Blup. Après le nom s’est perdu, je ne sais pas pourquoi. Au début c’était l’envie de dessiner qui m’a fait créer ce petit personnage. »
« Blupi est un petit personnage très simple, vraiment minimaliste au niveau de sa forme. Mais voilà sa forme rend assez compliqué de restituer des expressions variées. Du fait qu’il n’a pas de corps, des jambes très courtes, c’est compliqué de le rendre expressif. J’ai fait beaucoup d’esquisses. Celle de gauche est franchement ratée. Celle de droite, je l’aimais bien parce que je voulais exprimer la joie. Donc une fois que j’avais fait un brouillon comme ça je pouvais aller plus loin, le dessiner un peu mieux dans une bande-dessinée ou plus tard, comme on va voir, dans les jeux. »
Question 3 – Difficultés et secrets de création
Daniel, quelles étaient les difficultés pour dessiner ce petit personnage, Blupi, sur les micro-ordinateurs Smaky, depuis le tout début?
Pixel Art (forcé!) avant l’heure. « Voilà un dessin de Blupi qui était dans un jeu. On constate une première difficulté posée par les moyens techniques de l’époque, ce n’est pas fait exprès d’avoir une si faible résolution de l’image. Les moyens techniques à l’époque ne permettaient pas de faire mieux. Il faut s’imaginer qu’il fallait poser tous les points, les uns après les autres, avec un logiciel très rudimentaire. C’était très, très long de faire une image comme celle-ci. »
« Cette image fait partie d’un jeu, BlupiMania (1994), où Blupi marche, on le verra après dans une vidéo. Il fallait plusieurs centaines de ces images, évidemment, pour faire un jeu. Pour le faire marcher de gauche à droite, de droite à gauche, qu’il vienne, qu’il parte. Quand il est gai, quand il est triste. Vous imaginez, c’était colossal le nombre d’images à dessiner. Ça c’était une grosse difficulté! Et je trouve assez rigolo cette image ci-dessus, ce n’est pas pour rien que je l’ai mise. A l’époque j’aurais bien aimé faire des images meilleures, avec une résolution plus grande, en 3D, mais on ne pouvait pas. On était contraint de faire quelque chose comme cela, un peu pauvre. C’est assez rigolo de constater qu’aujourd’hui ce genre d’images suscite de l’intérêt. On appelle ça le Pixel Art. C’est totalement involontaire que ça revienne à la mode aujourd’hui. »
La technologie évolue. « Sur cette autre image, on voit Blupi toujours en 2D mais dessiné avec un outil plus moderne qui permet de définir des courbes de Bézier; cela se rapprochait beaucoup plus du rêve que j’avais, quelque chose de mieux. »
Papier, crayon, ordinateur – la combinaison gagnante. « On voit ici une technique que j’ai beaucoup utilisée: faire d’abord un dessin à l’encre sur une feuille de papier avec des tas de défauts. Il y a des traits en trop. Le dessin est mal fait. Sur l’image de droite, on voit que j’ai utilisé l’informatique pour effacer les traits en trop, corriger les imperfections et faire la mise en couleur. Donc, avec le papier, le crayon et l’ordinateur, j’étais assez content, j’avais une technique efficace pour faire des dessins qui correspondaient à ce dont j’avais envie. »
Le jeu de Flipper, casse-tête mathématique. « La machine de l’époque, un Smaky 6 (1978) était extrêmement simple, elle permettait uniquement de faire des additions et des soustractions sur des nombres entiers. Donc vous imaginez la difficulté pour animer une balle qui a une trajectoire parabolique fluide, les collisions avec les bumpers. Pour simuler tout ça, il fallait se contenter d’additionner et soustraire des nombres. La limite physique des machines représentait une grande difficulté à l’époque. Il fallait beaucoup d’astuces pour réaliser ce jeu. La balle qui dans le jeu donne l’impression de faire des belles paraboles, en fait ne fait absolument pas des paraboles, tout est triché! C’était impossible de calculer des paraboles avec un processeur aussi pauvre. »
Le jeu de Flipper conçu par Daniel Roux en 1978 tourne toujours sur un Smaky 6 grâce aux compétences des bénévoles passionnés du Musée Bolo. Moment de détente vintage durant cet événement, les visiteurs, de tous âges, en ont bien profité, y compris Jean-Daniel Nicoud!
L’aîné Smaky 6, la cadette Game Boy de Nintendo, un même cœur. « Et pour l’anecdote, le 21 avril 1989, soit onze ans après la sortie du Smaky 6, Nintendo sort la toute première Game Boy, une console portable; et c’est rigolo de constater qu’elle a le même micro-processeur Z80 que le Smaky 6. »
Question 4 – L’interface graphique: écran graphique + souris = Bingo!
Daniel, comment est née l’idée de faire une interface graphique pour les micro-ordinateurs Smaky?
« Douglas Engelbart, André Guignard, des gens géniaux ont inventé la souris. Jean-Daniel Nicoud a inventé des ordinateurs qui avaient un écran graphique. Une souris et un écran graphique, il y avait tout ce qu’il fallait pour faire une interface graphique. Tout cela est venu très naturellement grâce à la souris et à l’écran graphique. »
« On voit ici l’interface qui permet de lancer les logiciels du Smaky 100 (1984). » « Cela est arrivé bien plus tard que le Smaky 6 (1978)? » demande Cédric Gaudin. « Oui, en 1984, l’année du Smaky 100. »
Question 5 – Feu vert pour les jeux vidéo
Daniel, comment as-tu obtenu l’autorisation de programmer des jeux vidéo?
« J’ai un peu fait le forcing chez EPSITEC (rires!). J’avais envie de faire des jeux vidéo; c’est une activité qui a toujours été peu rentable. Je pense qu’on m’a donné cette autorisation pour me faire plaisir. »
Des exemples de jeux vidéo d’éveil et didactiques conçus et développés par Daniel Roux et adaptés au fur et à mesure que ses propres enfants grandissaient: Blupi (Toto) à la maison (1988) pour apprendre l’alphabet, Blupi (Toto) s’amuse (1990), un jeu éducatif avec plus de soixante activités variées pour enfant (problèmes de français, de mathématique et d’observation). Suit la série des CeeBot (2002) pour apprendre à programmer tout en s’amusant, destinée aux jeunes de 10 à 15, et au-delà aussi de 15 à 99 ans! Il n’y a pas d’âge limite pour découvrir la programmation. Dans l’univers généreux de Daniel Roux, personne n’est oublié!
Blupi globe-trotteur. Envoyé de Belmont-sur-Lausanne, siège originel d’Epsitec – au domicile des Nicoud jusqu’à la retraite de sa directrice Cathi Nicoud en 2008. Tous les employés travaillaient à leur domicile. EPSITEC pionnière du home office! – Blupi s’est aventuré bien au-delà des frontières helvétiques. « A l’époque on ne pouvait pas télécharger les jeux sur Internet, il fallait les vendre, physiquement, dans des boîtes qui contenaient des disquettes ou des CDs. Ci-dessus, on voit deux boîtes Blupi destinées au marché suisse. Il fallait faire tout ce travail graphique, la fabrication des boîtes en carton pour essayer quand même de les vendre, de gagner un petit peu d’argent, même si ce n’était pas complètement rentable. Toutefois, pour tenter de rentabiliser un peu la chose, on a essayé de distribuer ces jeux dans le monde entier; ce n’était pas facile! »
« Là je suis assez nostalgique de cette boîte, celle de gauche ci-dessus. Je ne sais pas si vous arrivez à deviner à quel pays elle était destinée? C’était une version pour Israël en hébreu. Blupi est allé assez loin! A droite, on voit une autre boîte. Vous devinez pour à quel pays elle était destinée? C’est une version coréenne, exactement. C’étaient des versions pour PC. » Passionné et passionnant, Daniel Roux poursuit sa présentation de manière animée en nous emmenant au cœur des aventures de Blupi.
Explication de jeu N°1 – Attention aux pièges!
« J’ai mis une petite vidéo de Speedy Blupi (1998) pour illustrer ce jeu très simple qui était sur PC. Dans cette vidéo trouvée sur Internet, je n’ai aucune idée de qui l’a enregistrée, j’ai beaucoup aimé voir un joueur dont je ne connais rien tomber dans tous les pièges que j’ai tendus. D’abord, il a explosé sur une bombe parce qu’il a raté son saut, j’avais exactement prévu qu’on rate le saut ici. Un peu plus bas, il va tomber tête baissée dans un piège magnifique: il y a un escalier, il descend. Il prend un œuf, c’est une vie. Il continue de descendre, et boum! (rires!) Donc voilà, il s’est fait avoir; cela m’a fait bien plaisir de voir cela des années plus tard. Là, il y a un autre piège, mais il l’a évité. Il faut se baisser car il y a des bombes au plafond. Là le joueur a compris, il a fait juste. »
Explication de jeu N°2 – Blupi à la vie à la mort.
« J’ai évidemment toujours beaucoup aimé Blupi, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai aussi beaucoup aimé le faire mourir de façon parfois assez atroce. Ici, avec une vidéo assez cocasse, on peut voir, une des façons les plus atroces que Blupi a eu de mourir. La joueuse est visiblement assez surprise de l’échec (rires!); c’est rigolo de voir tous ces joueurs, ces joueuses, je ne sais pas du tout d’où ils viennent dans le monde. »
Blupi for ever. « Peut-on encore jouer? » demande une personne dans le public. « Oui, oui. Ce sont des versions pour PC disponible sur blupi.org, on peut jouer sans problème. Sur les Smaky, il y a le Smaky infini qui existe, donc tous les jeux qui étaient sur Smaky 100, on les retrouve dans le Smaky infini (1999), on peut très bien jouer avec » répond le père de l’attachant Blupi.
Question 6 – Un IBM PC au royaume du Smaky et le logiciel de comptabilité Crésus, trentenaire cette année!
Daniel, comment as-tu fait pour convaincre Mme Nicoud d’acheter un micro-ordinateur compatible IBM PC, et les outils de développement Windows?
« A l’époque on faisait tout sur Smaky, et moi j’avais bien envie de pouvoir commencer à développer sur PC, me disant que cela permettrait de développer les jeux plus largement, donc pour l’occasion, j’ai écrit sur PC quelque chose que je n’aime pas, un logiciel de gestion, qui s’appelait Crésus; c’est cela qui a permis de convaincre Mme Nicoud que j’acquiers un PC. »
« Donc tu as réécrit les logiciels de comptabilité Crésus pour les IBM PC? » demande Cédric Gaudin. « Oui, oui, en 1994. En 1993, j’avais déjà écrit la version Smaky de Crésus. Je l’ai réécrite pour PC l’année suivante ». « Aujourd’hui, l’aventure Smaky est terminée depuis longtemps mais EPSITEC SA existe toujours, installée à Yverdon-les-Bains, la ville qui nous accueille aujourd’hui. EPSITEC commercialise Crésus principalement. Si elle existe toujours, c’est grâce à toi quelque part? » demande Cédric Gaudin. « Cela fait trente ans que le Crésus pour Smaky a été écrit. Il faut dire que le logiciel de comptabilité Crésus a été repris avec brio par un collègue, Michael Walz, toujours employé d’Epsitec SA qui a rajouté énormément de fonctionnalités. Par la suite, j’ai écrit Crésus Facturation; ce sont deux des trois logiciels qui font vivre EPSITEC aujourd’hui ». « C’est assez remarquable! » relève très justement Cédric Gaudin. « Combien de développeurs suisses peuvent-ils encore voir leurs programmes utilisés 30 ans plus tard? »
Let’s play again! « Il y a une anecdote intéressante. Tu avais un mois à disposition pour développer des jeux », raconte-nous en un peu plus demande Cédric Gaudin. « Oui c’est juste. Enfin ça dépend des jeux. On offrait souvent des jeux sur Smaky comme cadeaux de fin d’année à nos clients. Donc fin novembre, début décembre, j’avais quelques semaines à disposition pour vite boucler un jeu pour qu’on puisse le distribuer avant Noël. Avec un PC, on peut faire d’autres choses que des logiciels de gestion. Par la suite, j’ai par exemple créé un jeu qui s’appelle CoLoBoT et qui n’a rien à voir avec la comptabilité; ce qui me plaisait beaucoup plus! »
Question 7 – Changement de dimension: de la 2D à la 3D
Daniel, comment est-ce que tu es passé des dessins en 2D aux dessins en 3D car c’est plus compliqué de dessiner en 3D qu’en 2D?
« Oui exactement. Il y a un jeu qui s’appelle BlupiMania dont nous avons parlé précédemment. J’ai fait le premier BlupiMania (1994) en 2D et puis Blupimania 2 (2003), je l’ai fait en 3D. Cette précision sera utile pour illustrer la question que tu me poses, avec une comparaison. On verra a priori le même jeu, une fois en 2D, une fois en 3D. »
Extraits de Blupimania (1994) en 2D | © Daniel Roux – Epsitec
Blupimania 2D. « Le petit Blupi qui est ici, est quasiment celui qu’on a vu dessiné tout à l’heure en début de présentation. Voilà le type de dessins qu’il fallait faire pour faire marcher Blupi dans ce genre de décors. On dit que c’était en 2D, on dirait que c’était déjà en 3D, mais les techniques de dessin sont purement 2D. La 3D c’est une illusion d’optique. »
« J’ai une petite pensée émue quand je vois Blupi avec son bandeau, ses lunettes, toutes ces choses qu’il fallait chaque fois dessiner point par point, dessiner point par point tous les éléments du décor, les barrières et tout ça. Il s’agit d’une vidéo trouvée sur Internet. Le joueur doit aider Blupi à retrouver son ballon; c’est un jeu d’énigme, et dans ce cas le joueur n’a pas réussi. »
Blupimania 3D. « On va voir maintenant le jeu Blupimania 2 en 3D. De la même manière, j’ai mis une ou deux images de Blupimania en 3D pour sentir les différences. Là des mondes graphiques variés. Je m’amusais bien pour donner des ambiances graphiques! »
« Et puis là aussi, il y a une petite vidéo pour voir le jeu en action. »
« C’est toujours le même principe. Il faut aider Blupi à retrouver son ballon. Il y a une bombe qui bloque le passage, donc le joueur doit diriger Blupi et en l’occurrence utiliser la caisse pour faire exploser la bombe. Voilà la caisse et la bombe explosent, le passage est libre et Blupi peut attraper son ballon. Faire de la 3D, c’est techniquement plus compliqué. Je trouve cela assez marrant de voir cela vingt ans plus tard. Finalement en voyant ces deux versions – je ne sais pas ce que vous en pensez? – mais je trouve que la 2D a un petit plus qu’on ne retrouve pas dans la version 3D. »
« Pour conclure avec le thème 2D – 3D, puisque nous sommes ici dans un championnat de maths, j’en profite de dire qu’une des difficultés des jeux en 3D, c’étaient les mathématiques, justement parce qu’il y a beaucoup de mathématiques à faire pour calculer les positions dans l’espace, du calcul matriciel. En 2D il y aussi des calculs d’intersections, mais quand on passe en 3D, les calculs se complexifient beaucoup. Quand j’ai fait ces jeux en 3D, je n’étais pas trop mauvais en maths à l’époque mais j’ai malgré tout regretté de ne pas en avoir fait plus et de ne pas avoir mieux suivi les cours au lieu de dessiner. »
En cet après-midi du 18 mars 2023, le Smaky 130 (1992) sur lequel tout un chacun pouvait s’essayer au premier Blupimania en 2D n’a pas eu une minute de répit, heureux de cette intense séance d’exercices!
Bonus – Une inspiration enracinée dans l’enfance
Daniel Roux a ajouté un sujet à l’attention particulière du jeune public.
« Voici l’image d’une maquette en plastique d’un taxi mexicain que j’ai construite quand j’étais gamin, avec de la colle et tout ce qu’il fallait. »
« Ce véhicule m’a vraiment marqué par son look. Le jour où j’ai fait un jeu de voitures sur ordinateur, BuzzingCars (2002), je me suis inspiré de ce véhicule pour faire cela, la version qui était dans le jeu. »
« Toujours le même véhicule; j’ai même essayé de le construire en Lego! »
« Et après je me suis amusé à le remettre dans la même situation. »
« Il y a encore une image: à gauche la version dans le jeu, à droite la version en Lego. »
« Le jeu vidéo BuzzingCars (2002) était un jeu de course de voitures sans mention de Blupi dans le titre, pour une fois, mais Blupi apparaissait quand même dans le jeu. »
Regardons cette courte vidéo. Blupi ne participe pas à la course mais il est là, où est-il? Que fait-il? « Le premier qui aperçoit Blupi crie » nous harangue Daniel Roux, tous à l’affut de l’irrésistible petit personnage jaune.
Pour traverser l’Atlantique, Blupi a dû changer de nom pour la quatrième fois. « Au début, Blupi s’est appelé Blup, puis Toto, puis Blupi. Quand nous avons commercialisé Blupi aux Etats-Unis, ça ne marchait pas. Blupi ça veut dire quelque chose mais je ne sais plus quoi, ça se prononce mal en anglais. Donc Speedy Blupi s’est appelé Speedy Eggbert en anglais, aux États-Unis et BuzzingCars a aussi changé de nom aux Etats-Unis et s’est appelé Wild Wheels, les roues sauvages. Ce sont des jeux qui ont eu un certain succès. Il s’est quand même vendu 200’000 exemplaires de Speedy Blupi. Quand on se dit ça, on se dit « Wouah! on doit être riche! », mais il faut s’imaginer que sur chaque jeu vendu par un distributeur sur place, on touchait seulement quelques centimes. Donc, malgré le nombre, cela ne nous a pas permis de devenir riches. »
Questions à Daniel Roux – Le Smaky et ses contemporains
Pour clore ce moment passionnant en compagnie de Daniel Roux, le public est invité à poser les questions qu’il aurait.
Êtes-vous êtes intéressé à programmer sur des ordinateurs personnels qui seraient contemporains du Smaky comme le Commodore 64 (1982), ou le Sinclair Spectrum (1982)?
Daniel Roux – Non, a priori pas, je ne suis pas intéressé. Je fais actuellement à titre privé des développements de jeu Blupi sur smartphone, sur des appareils modernes.
J’apprenais la bureautique sur un Smaky au gymnase alors qu’à la maison j’avais un Commodore 64 qui affichait des couleurs et de la musique; cela paraissait plus approprié pour les jeux.
Cédric Gaudin – Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’univers du Smaky, les outils de programmation sont propres au Smaky car le professeur Nicoud a inventé un langage assembleur standard, de telle sorte que tous les Smaky utilisent cet assembleur, quel que soit le processeur. Par conséquent, les gens qui ont appris à programmer, que ce soit avec le Dauphin ou avec les Smaky, ont appris cet assembleur. Donc par la suite, passer d’un processeur à un autre, était assez simple, puisque l’on avait les mêmes mots clés. En revanche, programmer d’autres ordinateurs était un peu plus compliqué car chaque fabricant avait sa façon d’appeler les instructions. Ainsi, si on passait d’un processeur Intel à un processeur Z80 on n’avait déjà pas les mêmes noms d’instructions, donc c’était plus difficile. Le Commodore 64 utilisait les processeurs 6502, c’était encore un autre monde. Le Sinclair Spectrum c’était aussi un Z80, comme le Smaky 6.
Daniel Roux – Il y avait encore une autre raison. Nous avions développé le Smaky nous-mêmes; cela ne va pas de soi aujourd’hui, mais nous avions aussi écrit son système d’exploitation. On avait vraiment tout fait de A à Z, on le connaissait sur le bout du doigt. Nous avions donc toute la connaissance, tout ce qu’il fallait pour l’exploiter au maximum. Dès les débuts, j’ai d’abord écrit les logiciels qui m’ont permis par la suite de dessiner Blupi. Dessin4 sur Smaky m’a servi à dessiner Blupi point par point (Pixel Art). Plus tard, j’ai réalisé Crésus Documents, un logiciel pour PC, qui m’a permis de dessiner vectoriellement des dessins parfaits. Aujourd’hui, je me rends compte que ces dessins trop lisses n’ont pas le charme désuet des dessins point par point.
La transition du Smaky au PC c’était quand même quelque chose de difficile, cela a dû demander beaucoup d’heures de travail?
Daniel Roux – Oui (rires!). Et il a fallu apprendre un autre langage, apprendre le C, des choses comme ça.
Remerciements
Un grand et chaleureux merci à Daniel Roux d’avoir accepté de partager avec les jeunes participantes et participants au 37e championnat de jeux mathématiques et logiques à Yverdon-les-Bains, avec le public, et maintenant avec vous chers lecteurs et lectrices de ces lignes, un peu « de son aventure au sein de l’équipe Smaky. Il a développé énormément d’applications. Si vous regardez dans les manuels, dans les logiciels, souvent figure le nom des personnes qui les ont développés. Daniel Roux apparaît souvent. Il est vraiment un des personnages clés, un des moteurs de cette aventure, lui qui a travaillé pour EPSITEC, Smaky compris, environ 45 ans! Tu as pratiquement participé à toute l’aventure de A à Z » souligne Cédric Gaudin. « J’ai fait beaucoup de choses effectivement, mais en 45 ans on a le temps de faire beaucoup de choses (rires!). »
Cédric Gaudin remercie également EPSITEC SA – Crésus, sponsor de l’événement, ainsi que Jean-Daniel Nicoud pour sa présence et son engagement dans le projet
𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬.
Le Smaky – Une aventure incroyable!
3, 2, 1, go! « Le projet 𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬 commence aujourd’hui; c’est le lancement officiel! » annonce Cédric Gaudin. « Nous avons réuni énormément de matériel Smaky: des documents, des logiciels, des publicités, et les machines, bien sûr. Nous aimerions les mettre en avant. Nous avons également les archives de la pionnière de la presse informatique en Suisse romande, Marielle Stamm, qui nous a donné tous les journaux auxquels elle a participé, et aussi ses pressbooks, que nous souhaitons numériser et préserver. Le résultat de ce projet sera visible sur un site web smaky.ch accessible à tous! »
Soutenir 𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬
Pour réaliser ce projet, le Musée Bolo a besoin de votre soutien! En devenant partenaire, vous nous aidez à mettre en valeur le patrimoine informatique suisse romand et contribuez à la mise à jour de l’histoire de l’informatique. Chaque don compte.
En un clic (de souris!) vous pourrez découvrir le projet complet et détaillé.
Poursuivre l’aventure
Voici quelques pistes pour poursuivre en compagnie de Blupi votre découverte ludique d’une parcelle du monde de l’informatique et de son histoire:
Parcourir l’univers de Blupi – site BlupiMania
Have at look at the official website for all Epsitec SA games
Télécharger Smaky infini pour découvrir la richesse du monde Smaky
Jeux de Daniel Roux – Swiss Games Garden
Télécharger Simulateur de l’ordinateur Dauphin, comprendre les microprocesseurs
Une histoire de l’informatique en Suisse sur le site web smaky.ch, en attendant le nouveau site smaky.ch objet du projet 𝗝’❤️ 𝗺𝗼𝗻 𝗦𝗠𝗔𝗞𝗬
Une brève histoire d’EPSITEC. D’aujourd’hui à 1978, retour sur quelques temps forts de l’entreprise
SMAKY et EPSITEC dans la presse
Daniel Audétat, Un ordinateur de terroir dans la course – Gazette de Lausanne, 29/03/1985
Denise Jeanmonod, Smaky 1000: ordinateur romand qui rêve d’un avenir industriel – Gazette de Lausanne, 22-23/03/1986
Denise Jeanmonod, EPSITEC a dix ans – Le Temps, 18/03/1988
Zeynep Ersan, Yverdon et canton de Vaud: on préfère la pomme! – Yverdon-Région, 16/01/1991
Michelle Talandier, Les mômes au micro – Rubrique Question Votre PC dans Le Nouveau Quotidien (créée par Marielle Stamm!), 29/01/1992
Croquis, le logiciel de dessin malin – Journal de Genève et Gazette de lausanne, 28/04/1992
Adriaen Fausto Solano, Qu’est devenu Smaky, l’ordinateur « Made in Switzerland »? – Le Nouveau Quotidien, 05/05/1993
J.-M. J., La nostalgie de l’ordi 100% vaudois – 24 heures, 9-10/11/2002
Daniel Audétat, Un des inventeurs de la souris s’est éteint – 24 Heures, 13/10/2009
Yves Bolognini, L’ordinateur made in Vaud
Et pourquoi ne pas poursuivre cette découverte de l’aventure Smaky (et bien plus encore!) par:
- Une visite du Musée Bolo (des visites guidées sont possibles)
- Une halte sur la page Mémoires vives où vous attendent d’autres acteurs et récits de cette riche épopée