Un voyage dans l'âge d'or des superordinateurs Cray en Suisse


18.01.2024

Par Anne-Sylvie Weinmann, avocate et data scientist.


Des ogres à calculs révolutionnent la recherche scientifique

Lundi 16 octobre 2023. Compte à rebours: 3, 2, 1 GO! « Un Voyage dans l’âge d’or des superordinateurs Cray en Suisse au Musée Bolo » est en ligne. Un grand merci à Yves Rougy, et ses accompagnants, pour leur déplacement de France jusqu’en terres vaudoises, ainsi que pour son documentaire captivant qui retrace l’impact de quatre des sept supercomputers Cray du Musée Bolo, dans le développement du calcul scientifique en Suisse.

Cet article est une visite du Musée Bolo, dans les pas de Seymour Cray et de ses visiteurs d’un jour. Avec quelques zooms pour vous emmener encore plus loin dans ce captivant volume de l’histoire de l’informatique, profond vecteur de transformation de notre quotidien.

Qui l’eût cru?

Yves Rougy, streamer sur différents sujets d’informatique de type administrateur à l’enthousiasme contagieux, et visiteur estival du Musée Bolo, conclut son documentaire par ce constat: « Ce que j’ai trouvé de complètement fou, c’est qu’en partant d’une machine achetée d’occasion à EDF, cela a permis de créer une véritable compétence en Suisse, exploitée ensuite pendant des années. »

C’est exact! Je vous propose de suivre Cédric Gaudin, président de l’association Les Amis du Musée Bolo et de la fondation Mémoires Informatiques, guide du jour, et ses visiteurs français, pour découvrir quelques machines et anecdotes qui pavent le chemin de cet essor.

A gauche, le Cray-1S/2300 visible au Musée Bolo et son légendaire architecte Seymour Cray (1925-1996). A droite, le Cray X-MP/48. En arrière plan, une « tricotteuse » de Chippewa Falls.

Cette machine à partir de laquelle s’est développée une compétence helvétique dans le domaine du calcul scientifique et du High Performance Computing (HPC) reconnue mondialement, c’est le Cray-1S, arrivé à l’EPFL en 1986, et nommée du patronyme de son génial architecte: Seymour Cray (1925-1996).

En avril 1972, l’excentrique génie Seymour Cray, qui se détendait en creusant des tunnels (!) dans son jardin en plaisantant que des elfes l’inspiraient (S148), crée avec des amis la société éponyme Cray Research Inc. (CRI) dans sa ville natale de Chippewa Falls, Wisconsin (origine partagée avec Jack Dawson héros du film Titanic incarné par Leornardo DiCaprio!) dans le but d’offrir aux scientifiques les outils les plus puissants pour le calcul de haute performance. En ligne de mire, un objectif constant et clair: construire l’ordinateur le plus puissant du monde! Le Cray-1S appartient à la gamme des Cray-1, premier né (1976) de Cray Research Inc.

Séparé de Cray Research Inc. depuis 1989, installé au Colorado, Seymour Cray, surnommé le « père des superordinateurs », restera à la pointe des progrès en ce domaine jusqu’à son décès accidentel en 1996 (Histoire illustrée, p. 171).


Un génial inventeur – le père des superordinateurs

Dans l’esprit de Seymour Cray, ingénieur électricien et mathématicien, géant de l’histoire de l’informatique, qui chérissait le silence et son « monde booléen » qu’il arpentait avec une aisance inégalée, équipé d’un seul crayon et d’un bloc-note sur lequel apparaissaient naturellement les équations logiques, les circuits logiques qui décrivaient ses machines (Supermen, p. 80). Polymathe dont John Rollwagen, ancien CEO de Cray Research Inc, dit: « In many ways he’s as important to computer business as Thomas Edisson is to electricity business » (CRI, 25:00), maladivement timide selon sa secrétaire, doté d’une extraordinaire capacité de concentration, décuplée quand elle s’effectuait sur une table de travail vierge de toute distraction, Seymour Cray estimait que la vitesse illimitée était le Saint Graal de l’informatique (Supermen, p. 75). « Il est vraiment l’inventeur des superordinateurs! » souligne Yves Rougy.

Mais qu’entend-on par superordinateur? Selon le Computer History Museum (CA): « Un superordinateur est simplement un ordinateur capable d’effectuer beaucoup plus de calculs par seconde qu’un ordinateur classique de son époque. » Je partage avec vous cette autre définition muséale, arrivée jusqu’à moi fort à propos alors que j’écris ces lignes, grâce au souvenir immortalisé sur le réseau social à l’appareil photo coloré par une famille au sourire radieux prenant la pause devant un encart du Computer Museum of America (GA). Les supercomputers forment une famille de « machines qui étendent la compréhension humaine au-delà de ses limites actuelles. Leur taille, structure, et leurs capacités évoluent constamment, à l’instar de la mesure de leur vitesse » qui se mesure en FLOPS. Si dans le langage familier, un « flop » signifie un échec cuisant, il en est tout autre dans le monde informatique, en particulier dans celui du calcul scientifique, où l’acronyme FLOPS (floating-point operations per second, le nombre d’opérations en virgule flottante par seconde) « est une unité de mesure de la rapidité de calcul d’un système informatique et donc d’une partie de sa performance ». Pourquoi cette unité? « … en virgule flottante, c-à-d. que, du point de vue interne, tout nombre est mis sous la forme 10b, où 0,1 ≤ |a|≤ 1, b entier, ce qui permet de calculer avec des nombres très grands ou très petits, mais sans risque de perte d’information… » expliquaient les spécialistes du Centre de Calcul électronique de l’EPUL (EPFL dès 1969), en 1958 déjà (p. 20).

Où en est-on aujourd’hui, en matière de FLOPS? FRONTIER, un HPE Cray EX235a, le monstre du laboratoire étasunien d’Oak Ridge (ORNL, (TN)) est le premier superordinateur à dépasser en juin 2022 la barrière de l’ExaFlop, soit un quintillion (10 puissance 18) d’opérations par seconde! Un nombre hors de portée de l’esprit humain. Vertigineux. Il occupe encore à ce jour la plus haute marche du podium du TOP500 des superordinateurs les plus puissants au monde. Un quintillion de FLOPS! 1.194 EFlop/s précisément. FRONTIER accomplit en une seconde ce qui demanderait à la population mondiale plus de quatre ans de calculs.

Remontons le temps! La palme de premier superordinateur ne revient pas à un Cray, mais son architecte en chef n’est autre que Seymour Cray lui-même! Le CDC 6600 (1964) de la société Control Data Corporation, qu’il co-fonde en 1957, est le fruit d’une toute petite équipe de trente-quatre personnes (le veilleur de nuit compris!), déjà installée à Chippewa Falls. A l’arrivée, une machine cinquante fois plus rapide que son aîné le CDC 1604 (Supermen p. 92), « les performances, entre 1 et 10 mégaflops (million d’opérations flottantes par seconde), soit presque dix fois plus que la concurrence, en font l’archétype du superordinateurs » lit-on dans l’incontournable Histoire illustrée de l’informatique (p. 171). Du jamais vu! Mettant KO le fastest computer in the world d’alors, le IBM 7030 Stretch, tenant du titre depuis 1961. Le Goliath de Poughkeepsie, presque trois fois moins rapide, doit s’avouer vaincu par le David du Wisconsin! Une défaite au goût amer attestée par un mémorandum (08/1963) du président et CEO d’IBM, Thomas Watson.

La Suisse et le CDC 6600. Notre pays a un lien particulier avec le CDC, le connaissez-vous? Le premier superordinateur a foulé le sol helvétique était un CDC 6600, arrivé au CERN en janvier 1965. « Le premier CDC 6600 vendu! Un S/N 3 », précisait Cédric Gaudin, en une autre occasion. Les graines du règne à venir des machines de Seymour Cray étaient plantées.

Le 14 janvier 1965, le CDC 6600 arrive au CERN. Arrivée, installation, usages et spécificités, à découvrir dans une vidéo d’époque. Vous remarquerez l’environnement bruyant de la machine, dont on voit en illustration la console opérationnelle et son affichage (13:30) | © CERN

Le CDC 6600 du CERN, c’est une réponse possible effectivement. Je vous en propose une deuxième, méconnue, et qui vaut bien une parenthèse! En principe, Seymour Cray aime utiliser des technologies qui ont fait leurs preuves pendant… une décennie! Bousculant ses principes, in desperation sont les mots forts utilisés dans The Supermen. The story of Seymour Cray and the technical wizards behind the superccomputer (pages 79-80) il se résigne à utiliser un nouveau transistor commercialisé par Fairchild Semiconductor, les dompteurs d’électrons de la naissante Silicon Valley.

Pour construire the world’s fastest computer, Seymour Cray associe un Suisse à sa quête de vitesse de calcul. Un Suisse dont les recherches, inspirées de travaux des Bell Labs (pp. 119ss), consignées, d’une écriture régulière dès le 1er décembre 1957, dans un carnet de laboratoire sous le titre « Method of protecting exposed P-N junction at the surface of silicon transistors by oxide masking methods » aboutiront au développement de technologies révolutionnaires: le procédé planaire et le transistor planaire en silicium (1959), puis à l’invention du circuit intégré en silicium (1959) par Robert Noyce (1927-1990), futur co-fondateur d’Intel (1968) aux côtés de Gordon Moore et Andrew Grove. Premiers circuits intégrés monolithiques, premières puces industrialisables, industrialisées et commercialisées, grâce à la technologie planaire mise au point par un Romand. Quand le silicium et l’ingéniosité ouvre le champ des possibles, il y a 65 ans un Suisse a contribué de façon décisive à l’invention du circuit intégré; the chip, la puce!

Germanium ou silicium? L’envol du silicium. « Lorsque le procédé planaire a été inventé, les avantages du silicium ont pu être exploités. Les températures de jonction plus élevées et les niveaux de courant et de puissance généralement plus élevés sont particulièrement importants pour les circuits informatiques (computer circuits). Une autre valeur importante résultant du processus planaire est la vitesse plus élevée des dispositifs » précise J. E. Thornton dans Design of a Computer, The Control Data 6600 (p. 19), un livre préfacé par celui dont il fut le collaborateur: Seymour Cray!

Ce Suisse, trop méconnu, qui a construit le pont entre le transistor et le circuit intégré, et dont il est temps que je vous révèle le nom, est le Genevois Jean Hoerni (1924-1997), physicien qui a gardé de son pays d’origine la passion de l’alpinisme. Il appartient à une équipe mythique de huit pionniers des semi-conducteurs, piliers de l’histoire de l’informatique: les traitorous eight, fondateurs de Fairchild Semiconductor (1957), entreprise à laquelle Seymour Cray confie « un contrat de développement de 500’000 dollars pour la fabrication d’un nouveau transistor destiné au CDC 6600 ». Pour atteindre son objectif de développer l’ordinateur le plus rapide au monde, le pionnier de Chippewa Falls a besoin d’un transistor qui commute en moins de trois nanosecondes. Cet article du Computer History Museum (CA), dont le titre rappelle la quête de vitesse computationnelle de Seymour Cray – 1961: Silicon Transistor Exceeds Germanium Speed. Computer architect Seymour Cray funds development of the first silicon device to meet the performance demands of the world’s fastest machine – révèle un autre lien entre notre pays et le CDC 6600. Procédé planaire, présent! Augmenter la vitesse, et surpasser le germanium: « Jean Hoerni a répondu au cahier des charges en combinant le « gold-doping » – l’ajout d’impuretés d’or – avec le nouveau procédé de dépôt épitaxial (1960). Le dispositif n-p-n 2N709 (FT-1310) a été introduit en juillet 1961 comme étant le premier transistor au silicium à dépasser la vitesse du germanium. Chaque CDC 6600 utilisait 400’000 transistors emballés dans une configuration unique de modules de type cordwood afin de minimiser la longueur des fils de connexion. En 1964, la société a passé « l’une des commandes les plus importantes de l’histoire de l’industrie des semi-conducteurs » auprès de Fairchild pour plus de 10 millions de transistors ».

Poursuivons notre marche dans les traces de Seymour Cray à travers le Musée Bolo!


Cray en Suisse

Le Cray-1S (1979), version améliorée du Cray-1 (1976), racheté d’occasion à Électricité de France (EDF) pour 6.2 millions de francs, était le premier Cray installé en Suisse (p. 24), mais également le premier Cray installé en France (1981). La machine tant attendue par les scientifiques arrive dans notre pays au Centre de Calcul de l’EPFL en janvier 1986, sa maquette est exposée au salon de l’informatique Computer 86 en avril, pour le plus grand intérêt des visiteurs et d’un public plus large, ainsi que des utilisateurs eux-mêmes!

Computer 86, salon de l’informatique, du 22 au 25 avril 1986 à Beaulieu, Lausanne. Les visiteurs à gauche, les utilisateurs à droite. Article complet: FI N°4 (mai) 1986, page VII | © EPFL

Une rapide transformation. La machine nouvellement acquise est un Cray-1S/2000. Elle sera transformée en fin de la même année, 1986, en un Cray-1S/2300 « par l’ajout d’une unité d’entrée/sortie (IOS) spécifique, un système avec trois processeurs pour gérer les entrées et sorties avec le Cray-1S, l’ajout d’un bout d’arc de cercle supplémentaire, malheureusement disparu du modèle exposé au Musée Bolo mais visible sur ces photos » expliquait Cédric Gaudin, en une autre occasion.

Le Cray-1S/2300 au centre de Calcul de l’EPFL. Une comparaison des photos permet de visualiser la partie ajoutée fin 1986. Le magazine Flash Informatique de l’EPFL a consacré un numéro Spécial Cray à cette machine alors l’ordinateur scientifique le plus puissant de Suisse que vous pouvez consulter ici (FI N°3 – avril 1987).

© EPFL | Musée Bolo

Un design unique. Son apparence surprend tout le monde, et inspirera même l’artiste James Ball « Docubyte ». Une tour ronde, en forme de fer à cheval, non par choix esthétique, ni pour C comme Cray, mais pour une question de physique. Impératif: maximiser la vitesse de circulation de l’information dans le câblage, minimiser les retards de signaux pour augmenter la vitesse, les électrons ne pouvant aller plus vite que la vitesse de la lumière, il fallait réduire la longueur des fils au strict minimum! 122 cm pour les plus longs (contre 41 cm dans le Cray-2). Un écheveau dense et compliqué composé de milliers et de milliers de fils mis en place à la main par les géniales d’habileté « tricotteuses » de Chippewa Falls. Une indescriptible densité de connections qui donnaient vie à la machine, qui intéresse la presse!

Jacques Bettex, Le bon usage du Cray, 01 Informatique N° 952, 13/04/1987. Dès octobre 1974, Marielle Stamm, pionnière du journalisme en informatique, devient la correspondante en Suisse du grand journal français 01 Informatique. D’abord seule, chez elle, puis comme rédactrice-en-chef à la tête d’une équipe, elle développera avec succès la presse informatique en Suisse romande pendant deux décennies, dans différents journaux et magazines. Vous pouvez découvrir les débuts et développements remarquables du journalisme en informatique en Suisse romande dans le portrait de la prolifique vulgarisatrice de l’informatique Marielle Stamm, « Des mots pour le dire » (Partie 2). Un aspect méconnu de l’histoire de l’informatique, et le rôle essentiel de la presse dans le déploiement de cette discipline | © Musée Bolo

Que dit notre guide? « De 1976 à 1986, le Cray-1 était l’ordinateur le plus rapide au monde. On les appelait des mangeurs de calculs, ce n’était vraiment pas pour rien! Il n’y avait pas plus rapide! Cette machine a permis d’accélérer la recherche scientifique en Suisse. On avait bien des ordinateurs, mais il fallait des mois, voire des années, pour faire des calculs équivalents à ce que l’on faisait sur un Cray-1. L’acquisition de machines Cray a permis de donner un coup d’accélérateur et de placer la Suisse au niveau international, notamment dans les trois axes de recherches suivants: en physique des plasmas, pour les simulations de biologie moléculaire ou encore de mécanique des fluides avec, par exemple, les simulations de la rentrée dans l’atmosphère de la navette spatiale Hermès sur le Cray-2 (p. 17) qui arrivera à l’EPFL en 1988  » explique Cédric Gaudin L’accès au troisième pilier de la recherche, la simulation numérique, à côté de la théorie et de l’expérimentation est ouverte grâce à ces ordinateur vectoriel dévoreurs de FLOPS!


La révolution Cray: ordinateur vectoriel et informatique pipeline

Dans le passionnant documentaire Cray Research at Chippewa Falls – A Story of the Computer, Steve Nelson, ancien ingénieur chez Cray Research Inc. décrit ainsi, émerveillé, le Cray-1: « It’s beautiful, it‘s iconic and it turned the entire numerical computing upside down! » (dès 12:30).

Défi N°1 : traitement vectoriel. « Le plus grand défi de la nouvelle machine était la mise en œuvre d’un concept connu sous le nom de traitement vectoriel, dans lequel un ordinateur effectue des opérations mathématiques sur de longues chaînes de nombres, plutôt que de faire chaque calcul individuellement. Pour effectuer une chaîne de calculs A + B = C, par exemple, la machine vectorielle stockait tous les A en mémoire, puis tous les B en mémoire, puis effectuait tous les calculs en une seule fois. Le traitement vectoriel était plus rapide que les calculs scalaires traditionnels » (Supermen, p. 135). Un processeur vectoriel, un processeur qui exécute des opérations sur des vecteurs, des colonnes ou des tableaux de chiffres, de données, avec une instruction unique, plutôt que des nombres simples, des scalaires, une donnée à la fois. L’approche vectorielle avait déjà été testée sur le CDC Star 100 (1974) mais avait rencontré d’immenses difficultés. Construire une machine vectorielle impliquait d’inclure tant un processeur vectorielle qu’une unité traditionnelle, un processeur scalaire. Coordonner les deux unités s’avère compliqué, le CDC Star 100 ne remplit pas ses promesses théoriques, l’étoile, dont Seymour Cray avait étudié les défauts pour y remédier, fut supplantée par le Cray-1 (Supermen, p. 135).

Clive England, ingénieur logiciel chez Cray dans les années 90, propose, lors d’une conférence Cray Super Computers: Discover, Explore and Celebrate donnée le 6 avril 2022 à l’occasion du 50e anniversaire de la fondation de Cray Research, Inc., une visite anatomique dans les entrailles de l’ogre à calculs Cray-1 (13:30) ainsi qu’une réponse imagée et poétique à la question qui lui est fréquemment posée: « Comment décrivez-vous le traitement vectoriel? » Lorsqu’il fonctionne bien, il ressemble à un ressort magique – un slinky – qui descend l’escalier de façon complètement lisse et continue. Il y a de légers changements dans l’action mais c’est une action continue, sans à-coup, et c’est quand vous pouvez faire en sorte que votre superordinateur fasse cela que vous êtes le plus productif. (…) Tout est question d’interconnexion de la mémoire, de la façon dont les données circulent dans la machine. » (9:30, 10:55)

Défi N°2: le pipelining. L’architecture des processeurs vectoriels est basée sur le pipeline ou pipelining en anglais. « Les processeurs vectoriels pipelinent ces calculs! Par pipeliner, on veut dire que l’exécution de chaque instruction est découpée en plusieurs étapes indépendantes. Au lieu d’attendre la fin de l’exécution d’une opération avant de passer à la suivante, on peut commencer le traitement d’une nouvelle donnée sans avoir à attendre que l’ancienne soit terminée. » (Wikilivres) Le premier ordinateur à utiliser la technique du pipeline est l’IBM 7030 Stretch, la victime malheureusement du CDC 6600 rencontrée un peu plus haut, conçu en 1958, et dont le premier exemplaire sera livré en 1961. Le Stretch est un échec commercial mais les innovations qu’il intègre, à l’instar du pipelining, seront reprises dans tous les superordinateurs et jusqu’aux microprocesseurs actuels (Histoire Illustrée, p. 156).

Parole d’expert. « Le Cray-1 avait une approche spéciale; c’était une machine vectorielle qui utilisait la méthode du pipelining. Tous les processeurs font le pipelining. Cela veut dire qu’avec une instruction matricielle, les données doivent être amenées dans un flot de données fait de telle manière que les différentes parties de la machine sont toujours actives. En plus, une opération était découpée en petits morceaux et chaque petit morceau prenait exactement un temps de cycle; ça c’est Cray special! L’addition était découpée en quatre ou six petites parts, des sous-instructions, et la première addition qui arrivait utilisait la première sous-instruction, après un temps de cycle elle passait en à la deuxième sous-instruction, la première sous-instruction étant libérée, une nouvelle addition pouvait prendre la place vacante et ainsi de suite. Si la longueur pour une addition était de quatre sous-instructions, après quatre temps de cycle (nécessaires pour exécuter complètement la première addition), chaque temps de cycle il sortait un résultat. Ça c’est le pipelining, c’est installé là-dedans! » m’expliquait un jour de septembre 2022, en tapotant son smartphone, Ralf Gruber, physicien des plasmas désormais retraité, spécialiste du HPC et cheville ouvrière de la venue des Cray à l’EPFL. Evolution. L’histoire n’est-elle pas un saut dans le passé de notre présent? On a le lien entre les dinosaures et la petite bête? « Absolument, c’est les processeurs Cray. Les dinosaures étaient modernes! (rires) ». « C’était pareil pour la multiplication. Le résultat de l’addition pouvait directement être utilisé pour la multiplication. On pouvait après un certain nombre de temps de cycle produire un résultat addition ET multiplication en même temps ».

Comparaison. « On peut comparer un ordinateur pipeline avec une chaîne de montage de voitures, comportant une série de postes de travail. Lorsque la chaîne est remplie, le nombre de voitures produites par unité de temps est limité par une opération individuelle sur la chaîne. Ainsi le rythme de production des voitures correspond à celui de la première opération sur la chaîne. Un ordinateur séquentiel peut-être comparé avec la même chaîne de montage, mais à tout instant, il n’y a qu’un seul poste de travail actif. En pratique, la puissance élevée d’un Cray-1S s’obtient en réduisant le temps de cycle (on fait travailler un poste de travail plus rapidement) qui est dans notre cas de 12.5 nanosecondes (ndlr: 12.5 milliardièmes de seconde) en décomposant une opération telle que l’addition ou la multiplication en plusieurs opérations qui s’exécutent simultanément (on appelle cela le « pipelining ») » écrivait Ralf Gruber en 1986 dans Le Superodinateur CRAY-1S/2000 de l’EPFL (p. 24).

Cray-1S/2300. Les archives et le panneau de l’ancestral superordinateur indiquent une performance en mode vectoriel d’environ 160 MegaFLOPS. Mega, 10 puissance 6. Vous souvenez-vous de FRONTIER et ses ExaFlops (10 puissance 18). Il fallait bien commencer une fois! | © Musée Bolo

Mais alors, Monsieur Gruber, comment fait-on pour utiliser toute la puissance de ces ordinateurs? « C’est la programmation! ». La programmation, c’est dans ce domaine que se révèle la maestria de Ralf Gruber, une programmation efficace pour tirer le maximum de ces bolides computationnels! Preuve dans quelques minutes!


1988 – Une année faste pour Cray et le calcul scientifique en Suisse

1988, une année faste pour la firme de Chippewa Falls en territoire helvétique! L’École polytechnique de Zurich (EPFZ) a aussi voulu son Cray. Un Cray X-MP/28 prend ses quartiers sur les bords de la Limmat, alors qu’à l’EPFL un Cray-2 (deux processeurs, extension à quatre en 09/1990) remplace le Cray-1S/2300, rapidement victime de son succès et saturé! Les deux machines sont complémentaires, « les utilisateurs ne doivent pas forcément choisir la machine par affinité géographique ou linguistique mais plutôt technique » précise un article comparatif des spécificités des deux superordinateurs paru à l’époque dans le magazine Flash Informatique de l’EPFL. Cette année-là, en janvier, un troisième supercomputer Cray, un X-MP/48 est installé au CERN. De la gamme X-MP (1982), premiers superordinateurs multiprocesseurs conçus chez Cray par Steven Chen, il est désormais visible au Musée Bolo à l’instar de son compère le Cray-2 mis en retraite le 24 décembre 1993 après 43’034 heures de bons et loyaux services.

Le Cray-2 dans le Centre de Calcul de l’EPFL (1988-1993). Cédric Gaudin, votre guide de ce jour, vous explique le système de refroidissement unique du superordinateur: immersion, fontaine et fluorinert (dès 9:22) | © EPFL | Musée Bolo


Un modèle réduit pour un exploit

Tutoyer les étoiles. Quels exploits ont été accomplis grâce à ces superordinateurs! Un exemple, lorsque des scientifiques tutoient les étoiles en physique des plasmas. A côté des imposantes machines exposées, discrètement présenté dans une vitrine se trouve un Cray Y-MP miniature. La taille de l’objet est inversement proportionnelle à celle de l’exploit réalisé en 1989 par Ralf Gruber du Centre de Recherches en Physique des Plasmas (CRPP, EPFL), futur Swiss Plasma Center (2015), et trois autres scientifiques avec leur programme en physique des plasmas (fusion thermonucléaire), l’énergie des étoiles!

Mémoire insuffisante. Le Cray-1S était très sollicité, les gens étaient demandeurs de cette puissance de calcul? « Absolument, mais il y avait une limite, avec le Cray-1S, on ne pouvait pas résoudre des problèmes qui demandaient une grande mémoire, on était coincé. C’est à cause du manque de mémoire qu’après deux ans seulement nous avons voulu un Cray-2. Ça il faut le savoir. J’ai insisté, je voulais mes 2 gigabytes de mémoire » m’expliquait Ralf Gruber lors de notre rencontre en septembre 2022. « Une mémoire vive, colossale pour l’époque, de 2 Go. » lit-on dans Disparition programmée (p. 38) le livre de l’exposition sous forme d’enquête du Musée Bolo. Le Cray-2 (1985) marque un tournant, « un grand pas vers des ordinateurs capables de résoudre des problèmes « réalistes » en trois dimensions a été fait cette année par l’arrivée de l’ordinateur Cray-2 ayant une puissance de pointe de 1.9 Gflops (1.9 milliard d’opérations à virgule flottante par seconde) et une mémoire centrale de 256 millions de mots de 64 bits » lit-on dans Projet d’école « Astrid », Une ouverture sur l’Europe (FI 1986 N°6, p. 1). C’est justement de la mémoire colossale du Cray-2 dont a besoin Ralf Gruber pour aller de l’avant dans ses recherches en physique des plasmas. « Les applications spécialement adaptées au Cray-2 sont surtout celles qui nécessite une grande mémoire telle que celle de la simulation tridimensionnelle comme des problèmes de types éléments finis, volumes ou différences finies » (FI 1988 N°4, p. 9). Le Cray-2 lui permettra, avec ses co-équipiers d’une équipe internationale, David V. Anderson (LLNL), W. Anthony Cooper (EPFL) et Ulrich Schwenn (Max Planck), de développer le programme Terpsichore, « utilisé pour étudier la stabilité d’un gaz ionisé très chaud [ndlr. le plasma] confiné par des champs magnétiques tel que cela se réalise dans les expériences de fusion thermonucléaire » (FI 1989 N°9, p. 3). La muse grecque de la danse les conduira au firmament du High Performance Computing pour gagner le Cray Gigaflop Performance Award en 1989.

Trophée du Gigaflop Performance Award 1989 remis à Ralf Gruber à Reno, Nevada, le 13/11/1989 lors du IEEE Supercomputing ’89 | © Musée Bolo

Simulation d’un plasma du stellarator Wendelstein VII-AS du Max Planck Institue de Gärching, Allemagne, sur Cray-2 en 1989 avec le programme TERPSICHORE | © Musée Bolo

Stellarator et tokamak. Les stellarators constituent une famille de machines toroïdales développées en parallèle avec les tokamaks, à l’instar du TCV du Swiss Plasma Center. L’absence de symétrie dans la géométrie des stellarators nécessite un traitement 3D des problèmes d’équilibre et de stabilité. Terpsichore est un code de stabilité magnétohydrodynamique (MHD) idéale 3D développé pour étudier le comportement et la conception de telles machines.

Un peu de piquant? Développement du programme victorieux sur un Cray-2, soumission sur les terres de Seymour Cray à Chippewa Falls, sur une machine d’une autre gamme, imposée à tous les concurrents. Trente jours seulement pour apprivoiser la nouvelle bête. Lauréat, parmi vingt équipes concurrentes à avoir soumis un programme arrivant à plus d‘un Gigaflop par seconde, le programme Terpsichore (Cray Channels, p. 27) est exécuté sur un Cray-YMP8 (8 processeurs), la puissance de calcul atteinte est de 1,708 gigaflop/seconde, (1, 708 milliards d’opérations à virgule flottante par seconde!), il a fallu 20 secondes pour exécuter les 34 milliards d’opérations mathématiques que demandait l’analyse de stabilité du plasma qui occupait les chercheurs depuis 1986, date du début du développement de Terpsichore, qui évolua encore après son couronnement de 1989. La deuxième place revient à un programme de la très prestigieuse agence spatiale américaine NASA Langley (1.586 gfl/s). Programmation haute couture!


Une palette bigarrée d’histoires à raconter

De nombreuses anecdotes et spécificités techniques entourent ces surprenantes machines: pourquoi le X-MP/48 est-il vêtu tout de bleu et de jaune? Que cachent ces fameux « siège d’amour les plus chers au monde »? Le Cray-2: depuis quand les ordinateurs ont-ils des fontaines? Comment éviter la surchauffe à ces ogres à calculs? Que nous disent les quelques centimètres carrés d’un circuit imprimé du Cray-3, machine à l’unique prototype vendu? Bonus: « L’idée géniale de Cray, pour gagner de la place, a été de souder les circuits intégrés directement sur le circuit imprimé. Le circuit intégré complet dans son boîtier complet avec les pattes prenait trop de place! »  expliquait Cédric Gaudin, en une autre occasion. Le Musée Bolo possède également un encart publicitaire du Cray-4, qui finalement ne verra pas le jour. Cray 1, 2, 3, 4, jusqu’à son accident de voiture, l’infatigable Seymour Cray n’a cessé de concevoir des superordinateurs. En cet automne fatal de 1996, le père des superordinateurs travaillait sur le design de son premier ordinateur massivement parallèle. Chaque École polytechnique voulait son Cray, mais le Cray étaient-il à disposition de tous les utilisateurs, indistinctement? Attention: accès limité et haute sécurité! Et bien plus encore. Rien ne vaut l’histoire vivante! Je vous encourage donc à écouter Cédric Gaudin partager avec vous de vive voix quelques pages de cette histoire technique, scientifique, mais aussi profondément humaine par l’ingéniosité, la créativité, la passion qu’elle dévoile. Vous pouvez le suivre à travers les allées du Musée Bolo, c’est par ici! Une petite pause en images, avant de nous rendre à Manno, au Tessin, toujours en marchant dans les pas de Seymour Cray et de nos visiteurs de ce jour.


Un centre de calcul scientifique national

Les débuts. En 1991 la Suisse se dote d’un centre de calcul, installé à Manno, près de Lugano, au Tessin: le Centro Svizzero di Calcolo Scientifico (CSCS), unité de l’EPFZ. Fondé en 1991, inauguré officiellement le 1er octobre 1992, il abrite en son sein le premier ordinateur national acheté avec le budget de cinquante-cinq millions, dont quarante millions pour la machine, voté par un arrêté des Chambres fédérales le 5 juin 1986. Le crédit valable 5 ans devait être dépensé avant le 30 septembre 1991, date à laquelle le CSCS débute ses opérations. Au début pas de Cray, mais un NEC. La machine japonaise NEC SX-3/22 bi-processeur, de la série des superordinateurs SX-3 arrive au Tessin les 9 et 10 septembre 1991 dans 110 caisses; 46 tonnes! Surface en mètres carrés d’Adula: 125. La machine « avec un temps d’horloge de 2.9 nanosecondes, la puissance de pic théorique atteint les 5.5 GFlops » (10 puissance 9) lit-on dans Un superordinateur national pour la Suisse paru dans le magazine Flash Informatique de l’EPFL (09/1991). Un article que les amateurs de détails techniques auront, je l’espère, plaisir à lire.

Régis Dupont, Le croqueur de nombres le plus puisant d’Europe, Informatique & Bureautique. L’hebdo romand de l’informatique N° 183, 04/11/1991. Les débuts et développements du journalisme en informatique en Suisse romande sont à découvrir dans le portrait de Marielle Stamm, « Des mots pour le dire » (Partie 2). En décembre 1998, le groupe lausannois Edipresse rachète à son actionnaire français, le mensuel Informatique et Bureautique, Le Journal romand de l’informatique créé et dirigé par Marielle Stamm. Le journal deviendra le 3 avril 1989 un hebdomadaire. Un nouveau sous-titre marque cette transformation: L’hebdo romand de l’informatique. « Là c’est devenu un tourbillon car faire un hebdomadaire, c’est démentiel » se souvient la pionnière du journalisme en informatique.

Un Cray national. En 2005, les Cray feront leur entrée au CSCS: Piz Palü, un Cray XT3 Single Core, devenu Dual Core en 2007. Les descendants du Cray-1S de l’EPFL s’établiront en terres tessinoises, de manière ininterrompue jusqu’à ce jour. Nous y reviendrons.

La visite continue. Revenons à ce jour d’été 2023 et au documentaire d’Yves Rougy (19:30). Le petit groupe de passionnés se dirige vers le fond du musée où se cache un rack du Cray XT4 dénommé Piz Buin. Tout helvétique avec ses portes rouges à croix blanche, il est le dernier superordinateur à avoir œuvré au Centre Suisse de Calcul Scientifique (CSCS) à Manno (TI), alors devenu également un centre de compétence en matière de calculs pour les prévisions météorologiques. L’étude du climat et la météorologie appartiennent aux domaines qui ont émergé grâce à une extraordinaire puissance de calcul à disposition. En 2001, MétéoSuisse commence à calculer les prévisions météorologiques au CSCS.

Inaugurée en septembre 2007, une machine pour hisser la Suisse au rang de premier pays d’Europe à disposer de prévisions météos à haute résolution. « Les calculs de MétéoSuisse n’utiliseront qu’environ 30% de la capacité de Cray XT4. Le reste du temps, « Buin » sera mis à la disposition des chercheurs des hautes écoles suisses, afin d’effectuer des simulations dans toutes sortes de domaines, comme la chimie, la physique, les nanosciences, les sciences des matériaux, la dynamique des fluides ou la recherche sur le climat. » Capacité de calcul de 5 Gigaflops, 5 milliards d’opérations par seconde, une simulation qui durait 60 minutes pour une prévision de 24 heures était réduite à 25 minutes. Mise en perspective: « L’ensemble des 7,5 millions d’habitants de la Suisse devrait faire des calculs pendant cinquante ans pour pouvoir réaliser une seule prévision météo sur 24 heures »  nous renseigne le site swissinfo.ch. En 2012, le CSCS quitte son site d’origine de Manno et déménage à Lugano. L’ogre à calculs est définitivement éteint, comme en témoigne cette vidéo teintée d’émotions. Piz Buin cesse de ronronner et de calculer, le silence s’installe. Un chapitre long de deux décennies se clôt, un nouveau s’ouvre à Lugano. Un des cinq racks rejoint le Musée Bolo en 2013; prétexte à vous raconter quelques pages de cette extraordinaire épopée!

Ce n’est qu’un au revoir! « Au CSCS, à Lugano, ils ont eu le troisième ordinateur le plus rapide du monde, Piz Daint un Cray XC40/XC50. Médaille de bronze en juin 2017 au Top 500 des superordinateurs les plus puissants au monde. Il y a pas mal de choses incroyables qui sont arrivées; c’est l’aventure Cray qui a permis de rendre cela possible! De fils en aiguille, le centre de Manno est devenu très apprécié à travers le monde. Les gens avaient un savoir-faire pour gérer ces superordinateurs qui étaient vraiment très apprécié; ça a permis de participer aux grandes conférences. Et cela, on le doit aux gens qui ont fait venir le Cray-1  » souligne Cédric Gaudin, en guise de conclusion d’Un Voyage dans l’âge d’or des superordinateurs Cray en Suisse au Musée Bolo. Il paraît que d’autres documentaires d’Yves Rougy suivront. Nous les attendons avec impatience.

Affaire à suivre. L’année 2024 marquera une étape importante pour la lointaine descendance du Cray-1S, celui par lequel tout a commencé: SwissAI! Cette initiative conjointe de l’ETHZ et de l’EPFL vise au développement et à l’utilisation d’une intelligence artificielle transparente et fiable. Elle repose sur le nouveau superordinateur Alps du CSCS à Lugano. Le HPE Cray EX, une infrastructure de niveau mondial, qui entrera en service en février 2024, et que vous pouvez d’ores et déjà découvrir, ronronnant, ici! Une extension de ALPS sera installée à l’EPFL en tant que solution de basculement de secours pour le service MétéoSuisse dès le printemps 2024, ou de l’analyse fédérées des données, dans le domaine médical par exemple, dévoile le communiqué de presse du CSCS du 9 janvier 2024. Retour à la source de l’aventure Cray en Suisse!

Your attention, please! A l’heure où le Musée Bolo s’apprête à mettre cet article en ligne, une annonce parvient de la bouillonnante station grisonne de Davos, hôte du Forum économique mondial (WEF), qui année après année concentre en janvier l’attention d’une partie de la planète. Cinq lettres pour un autre projet ambitieux dont Alps est au cœur: ICAIN. Lancé à l’occasion du WEF par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et l’ETHZ, co-fondé avec l’EPFL, le CSCS et divers partenaires internationaux, le « International Computation and AI Network » a pour objectif d’utiliser les superordinateurs Alps et l’européen Lumi – un HPE Cray EX également – dans des projets qui soutiennent les Objectifs de développement durable des Nations unies (ODD).

Pendant ce temps, récemment restauré, coulant une retraite paisible au Musée Bolo, loin de cette effervescence computationnelle et médiatique, l’ancêtre de ALPS, le Cray-1S/2300, qui en son temps connut lui aussi les feux de la rampe, s’émerveille du développement de l’aventure qu’il a initiée il y a trente-huit ans!


Pour poursuivre l’aventure Cray

Vous souhaitez en savoir plus sur les superordinateurs Cray du Musée Bolo, les approcher, du moins ce qu’il en reste; quelques centimètres carrés, à l’instar du circuit imprimé du Cray 3 évoqué ci-dessus suffisent pourtant à ouvrir largement les portes de l’histoire passionnante et foisonnante des superordinateurs, puissantes briques de notre société numérique, dont certaines technologies se retrouvent dans nos téléphones portables, comme nous l’avons vu. Il y reste encore tant à découvrir! Ni Un voyage dans l’âge d’or des superordinateurs Cray en Suisse, bien que dense, ni mes ajouts calqués sur les pas de nos visiteurs, ne vous ont dévoilé tous les trésors Cray du Musée Bolo. D’autres machines, d’autres applications pratiques, d’autres histoires vous y attendent: le tableau de bord du serveur de fichier central Cray Y-MP EL 94 Nestor (FI 1992 N°2, p. 6) et son bouton, unique vestige des machines de la gamme Y-MP abritées par EPFL (FI 1994 N°6, p. 6), le massivement parallèle Cray T3D (FI 1994 N°6, p. 6) et, montrée en de rares occasions, la tonne de portes du système Cray Monte Rosa. Un Cray XT5 initialement installé en mai 2009 sur le site d’origine du CSCS à Manno, puis mis à jour pour devenir un Cray XE6. Transféré à Lugano en 2012, il est arrêté en 2015. « Effectivement, nous avons également en réserve les portes de Monte Rosa, un Cray XE6. Nous les exposons occasionnellement. Le CSCS voulait vous donner les vingt-deux châssis; une tonne chacun! Il faut une solide dalle et de la place pour stocker une telle machine de vingt-deux tonnes. Nous avons donc dit: « Oui, mais pour une tonne de portes! » Nous en avons 10  » (rires!) expliquait Cédric Gaudin, en une autre occasion. Des portes arborant nos sommets pour Des nouveaux sommets pour le Calcul Haute Performance en Suisse.

Des machines impressionnantes de par leur taille, leur poids et leur capacité de calculs, certes! Mais aussi par leur histoire qui nous parle de l’ingéniosité, de la passion et de l’audace de leurs concepteurs, de leurs utilisateurs, de la fourmilière de personnes nécessaires à leur bon fonctionnement. Une histoire magnifiquement humaine!

Inscrivez-vous à la prochaine visite guidée du Musée Bolo, une occasion unique de plonger dans un pan peu connu de l’histoire de l’informatique, grâce à l’exposition temporaire Seymour Cray, le Superman des superordinateurs prolongée en raison de son succès jusqu’au 29 mars 2024!

Excellente découverte!


Sources et ressources supplémentaires

Yves Rougy

Un Voyage dans l’âge d’or des superordinateurs Cray en Suisse au Musée Bolo

D’autres vidéos d’Yves Rougy sont disponibles sur sa chaîne YouTube, YvesRougyFR

Au Musée Bolo

Une visite guidée du musée?
L’exposition temporaire Seymour Cray, le Superman des superordinateurs prolongée jusqu’au 29/03/2024
De l’histoire et des histoires en mots et en images sur la page Mémoires vives

Dans l’ordre d’apparition, et quelques ajouts

Seymour Cray, Wikipedia

Cray Research, Inc., site web du Computer History Museum (USA)

Emmanuel Lazard, Pierre Mounier-Kuhn, Histoire illustrée de l’informatique, EDP Sciences, 3e édition, 2022

The Cray-1 Supercomputer, site web du Computer History Museum (USA)

Charles J. Murray, The Supermen. The story of Seymour Cray and the technical wizards behind the supercomputer, John Wiley & Sons Inc, 1997

Richard Cornell, Cray Research at Chippewa Falls – A Story of the Computer, 2014 (documentaire)

David C. Brock, Seymour Cray: The Man Who Brought Style to Supercomputers, blog du Computer History Museum (USA) – 14/09/2017

Computer Museum of America, site web

FLOPS, Wikipedia

Appoline Raposo, Du CC au DIT, 50 ans d’histoire, Flash Informatique (EPFL) N° 10 – 16/12/2008

Oak Ridge National Laboratory (ORNL, USA), site web

TOP500. The list – 11/2023

NEWS. Frontier remains No. 1 in the TOP500 – 11/2023

Frontier: The world’s first sxascale supercomputer has arrived, ORNL – 2022 (vidéo)

CDC 6600, Computational And Information Systems Lab (NCAR, USA)

Photos CDC 6600, University of Minnesota, CharlesBabbage

CDC 6600’s Five Year Reign, site web du Computer History Museum (USA)

Control Data Corporation (CDC), site web du Computer History Museum (USA)

The IBM 7030, aka Stretch, site web IBM

CDC 6600, Wikipedia

Watson Jr. memo about CDC 6600, site web du Computer History Museum (USA)

Chris Jones, L’informatique au CERN: l’ère des ordinateurs centraux, Les 50 ans du CERN, 09/2004

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Werner Schwarz, Un musée Cray au Centre Midi de l’EPFL, Flash Informatique EPFL, 1994 N°6 (juin)

Marie-Christine Sawley, La bonne dose de créativité et de prise de risques. Inauguration du T3D et du programme PATP, Flash Informatique EPFL, 1994 N°6 (juin)

Monte Rosa Cray XE6 power-down at CSCS, hpc-ch. The Swiss HPC Service Provider Community 02/03/2015 (vidéo)

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